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Hervé Devolder

Parrain de la 21ème édition

Auteur, compositeur, metteur en scène, comédien et chanteur

 

SCAPIN

Association Val de Luynes Evènements : Comment est née l’idée d’adapter Les Fourberies de Scapin en solo ?

Hervé Devolder : Ah! C’est très compliqué. Alors Michel Roux, vous vous souvenez de Michel Roux ?  » Oui bien sûr  » . Alors un jour je croise Michel Roux qui me raconte avec son charme habituel une de ses anecdotes : il partait en tournée avec un boulevard de l’époque, ça devait être en 1970 ;  il partait dans l’Est de la France, les comédiens en train et la technique, les décors et les costumes dans un camion à part. Et donc ils arrivent en début d’après-midi à la salle, commencent à s’installer et ils apprennent que le camion a eu un gros problème mécanique et qu’il ne sera pas là le soir. Donc à 3h de l’après-midi : « Qu’est-ce qu’on décide, est-ce qu’on joue sans les costumes et sans les décors, ou est-ce qu’on annule tout ? » Et là, ils ont l’idée folle de se dire « Bah on le fait quand même ».
Ils vont chercher 3 chaises pour faire le canapé, c’est comme ça qu’on fait toujours en répétition, ils se débrouillent comme ils peuvent pour reconstituer le décor, ils trouvent un costard, une robe et hop ! c’est parti. Et là, Michel entre en scène et explique aux spectateurs la situation : « on a eu un problème avec le camion technique donc on n’a pas de décor ni de costumes » et là le public se met à rire, pensant que ça faisait partie de la pièce. Bon bref, ils commencent tous à jouer et en fait au bout de 10 minutes, tout le monde avait oublié qu’il n’y avait pas de décor, pas de costumes et la représentation a eu exactement le même effet que d’habitude. Du coup, Michel me dit « En fait on se complique la vie avec les décors et les costumes puisque sans, ça marche aussi bien. »
J’avais gardé cette anecdote en tête et un jour j’ai même pensé alors :  «  Et s’il n’y avait pas non plus les autres personnages ? ». Donc voilà l’idée. Alors j’ai fait une 1ère  expérience où j’ai écrit un boulevard vraiment pourri, une caricature de boulevard mais pourri, avec l’amant dans le placard, le mari, la maîtresse enfin du boulevard quoi et je joue tout ça tout seul.  Je fais quelques représentations, j’ai des potes qui viennent me voir, et qui me disent le concept est sympa mais ta pièce n’est vraiment pas terrible. Donc, je me suis dit ça marche mais il faut que je joue une vraie pièce.

AVDLE : Pourquoi avoir choisi cette pièce de Molière en particulier ?

H.D : Alors, mon principe pour que ça fonctionne, c’est exactement comme quand on est sur un quai de gare et qu’on entend la conversation du voisin et qu’on comprend toute la conversation alors qu’on n’entend pas l’autre personne au bout du fil. Donc il me fallait une pièce avec plusieurs personnages mais une personne centrale. Et en me penchant un peu sur toutes les œuvres théâtrales que je connaissais, il se trouve que je pense à Scapin qui est en fait omniprésent dans la pièce,  qui répond beaucoup à des interrogations et des problématiques des autres, et donc il y a actuellement dans le spectacle que je vais avoir le plaisir de vous jouer, les 2/3 où c’est exactement le texte de Molière, et où je ne dis que le texte de Scapin sans dire le texte des autres et ça marche. Bon, il y a un moment où pendant 10’ Scapin n’est plus sur scène donc moi j’ai écrit et je l’intègre dans la fin et puis, je fais un peu l’andouille sans mettre dans l’embarras mes camarades comédiens (pas comme Jean Lefebvre qui mettait tout le temps les autres dans la panade avec ses trous de mémoire). Et c’est comme ça que j’ai le plaisir de jouer un one-man en emmenant le public avec moi et mes personnages imaginaires.

AVDLE :  Comment vous êtes-vous préparé ?

H.D :  Alors, Il faut quand même aider un peu le spectateur, c’est-à-dire que les autres personnages ont des places précises pour que ça fonctionne, donc, j’ai dû écrire scrupuleusement l’adaptation.
Et ensuite j’avais la double gourmandise, d’abord d’avoir écrit cette mise en scène car c’est un gros boulot et celle de jouer l’acteur, ce qui est jubilatoire. Donc je suis metteur en scène et acteur. J’ai répété tout seul et je faisais ce qu’ Hervé, le metteur en scène, me disait de faire à moi Hervé l’acteur…vous voyez un peu ça chauffait là-haut. J’ai monté ce spectacle en utilisant cette méthode-là. Ensuite, j’ai embauché une assistante, très expérimentée en théâtre, et je lui ai dit :  » Maintenant tu peux venir voir le spectacle, tu vas voir ce qui cloche, tu vas m’aiguiller et puis tu vas voir à quoi ça ressemble »  car pour le moment il n’y avait que moi qui connaissais la pièce. Elle m’a souligné quelques petits points que ni le comédien Hervé ni le metteur en scène Hervé n’avait vus. Et ensuite j’ai fait pendant plus de 2 semaines des filages filmés tous les après-midis, que je me regardais le lendemain matin pour peaufiner tous les détails. Ça a été un gros boulot mais j’ai vraiment fait le  travail de comédien et metteur en scène. Et puis une fois que c’est bien dressé et bien rodé, j’ai pu me permettre de faire davantage l’andouille au fur et à mesure.
 

AVDLE :  Cet exercice théâtral est une vraie prouesse, comment le vivez-vous sur scène ?

H.D : Alors quand je suis sur scène, j’essaie vraiment de le vivre avec tous ces personnages-là, comme quand un enfant dessine une maison dans le sable et que si tu marches dessus il te dit « Attention tu marches sur le mur ! », et avec le décor que je mets 5 minutes à décrire puisqu’il n’y a pas de décors ; les spectateurs visualisent et se souviennent très bien d’ailleurs. Et en même temps j’essaie vraiment d’être avec eux parce que j’adore partager avec le public. Le plus beau compliment qu’on me fait souvent c’est : « C’est incroyable on les voit les autres », mais c’est parce que je les vis qu’ils les voient !

AVDLE :  Vous qualifiez ce spectacle de « petit bonbon », qu’entendez-vous par là ?

H.D : Parce que parmi tout ce que je fais, toutes les comédies musicales notamment, eh bien ce spectacle c’est vraiment un délice: « Youpi, je vais jouer les fourberies de Scapin tout seul !» J’ai le double plaisir car à chaque fois j’entre en scène, je joue avec quelqu’un que je ne connais pas : le public et il faut que ça matche avec le public. Ça c’est un petit défi à chaque fois et c’est très agréable. Et puis, ensuite, il y a le plaisir de jouer la pièce de Molière parce que ce « zigoto » il a tellement de talent, que la pièce – elle est tellement construite que les tableaux s’enchaînent tellement- que même avec une mise en scène comme la mienne, il faut que la pièce garde ses droits. Donc c’est une vraie friandise et c’est un spectacle de niche.

AVDLE :  Si vous pouviez parler avec Molière aujourd’hui, que lui diriez-vous à propos de Scapin ?

H.D : Ah ! Alors, dans le spectacle je lui pose une question à la fin mais ça je vous laisse le découvrir. Je lui dirais « Bravo maître pour la construction extraordinaire de cette pièce », comme toutes les pièces de Molière d’ailleurs.  Mais en fait, dans ce personnage de Scapin, il y a en plus un message écologique, car mine de rien, en fait Scapin ne tire aucun bénéfice d’aucune de ses fourberies. On a l’impression qu’il fait des magouilles, mais non, il prend des gros risques pour les autres, pour permettre aux jeunes gens qui s’aiment de vivre leur amour en dehors des prérogatives et des intérêts financiers des pères. Il donne la faveur à l’amour plutôt qu’à l’argent et c’est vrai qu’au sens large de l’amour ce sont des questions qui sont d’actualité aujourd’hui :  on préfère de plus en plus les légumes du coin plutôt que les légumes venus du bout du monde mais présentant soi-disant plus de profit.

AVDLE : Lauréat des Molières des spectacles musicaux puisque vous avez été récompensé pour « Les fiancés de Loches » en 2016 « Chance » en 2019,
Qu’est-ce que cette distinction représente pour vous personnellement ?

H.D : Ah ! Alors dans un 1er temps, je ressens un peu le syndrome de l’imposteur. Comme a dit un jour Jean Dujardin dans une interview quand il a été récompensé d’un oscar « Mais ils vont bien se rendre compte à un moment que je n’y connais rien, que je suis un tocard ». Donc je pense qu’on est toujours un peu chargé du syndrome de l’imposteur mais c’est vrai que c’est une reconnaissance de la famille, de la famille du spectacle et c’est dans ce sens que je le prends.

AVDLE : Qu’est-ce que ces récompenses ont changé dans la perception du public et dans celle de la profession ?

H.D : Disons que ça estampille, l’avantage c’est que lorsqu’ on arrive avec un projet, on se dit « Ah tiens, il a eu un Molière, je vais m’intéresser à son projet quand même ». Ça permet de se faire connaître, car en fait on ne se connaît pas tant que ça dans cette grande famille. Quand j’étais petit, je croyais que tout le milieu du showbiz se connaissait et faisait la fête tout le temps ensemble mais pas du tout en fait. Ils se rencontrent pour jouer un film ou une pièce ensemble mais ensuite ils ne revoient pas forcément.

AVDLE : A quel âge avez-vous su que vous seriez un artiste à part entière ?

H.D : Je crois que je l’ai toujours su parce que dans ma famille on pratiquait beaucoup les arts et on respectait énormément les artistes ; les artistes étaient des héros pour nous.
Mais j’ai un souvenir précis lors de ma rentrée de 4ème : sur la fiche de renseignements de la rentrée, à la question : « Quel métier veux- tu faire plus tard ? »  j’ai écrit : une idée vers le spectacle. Bon pas très précis mais quand même c’était un début. Et donc ensuite le prof lit les fiches à voix haute,  il arrive à la mienne et  dit : « Ah ! Hervé…Clown ». Alors là, tous les autres se sont dit : « Waouh ! il a eu le culot de mettre clown », (comme si j’avais fait un bras d’honneur, quoi !), j’étais un héros dès le 1er jour, alors je n’ai pas démenti.

AVDLE : Quels sont les prochains projets signés Devolder ?

HD : Je vais probablement monter une pièce de Henry Bernstein de 1929, le truc improbable…
Et puis j’ai un gros chantier en cours, c’est que je vais faire le chanteur, une nouvelle facette, je vais enregistrer mes propres chansons ! C’est un gros boulot mais je suis très content car je suis avec un bel orchestre, rien qu’avec des gens que j’aime !

     Interview réalisée par Virginie

    Bénévole au  Festival de théâtre en Val de Luynes