Nicolas PIERRE
Auteur, metteur en scène, comédien
La folle histoire de France

Association Val de Luynes Evènement. Pouvez-vous présenter votre parcours de comédien ? Est-ce une vocation ?
Nicolas PIERRE. Alors, non ce n’est pas une vocation, je crois que je n’ai même jamais été au théâtre avec mes parents étant jeune. J’ai dû faire 2 ou 3 sorties scolaires comme tout à chacun, avec comme tous, une passion distante pour les pièces qu’on nous emmenait voir. C’est venu par hasard, pour arriver jusqu’à vous au Festival en Val de Luynes, puisqu’au départ je n’étais pas du tout théâtre, mais très cinéphile ; j’avais un père qui avait une vidéothèque très fournie et j’étais très cinéma. Et un jour, mon meilleur ami a décidé de passer le concours de la FEMIS, (École nationale supérieure des métiers de l’image et du son ) alors qu’on était en études de sciences, moi j’ai fait un bac S, un DEUG de biochimie et donc pas du tout sur le bon parcours. Fils de médecin, je faisais de la science et je n’avais pas de velléité artistique du tout. Et donc cet ami a eu envie de passer le concours puisqu’on voyait des films ensemble et on s’est rendu compte qu’effectivement il y avait des gens qui travaillaient dans ces milieux-là et que les films ne sortaient pas tout seuls comme ça. Malheureusement pour lui, ses parents lui ont interdit de faire ça, mais moi on m’a laissé faire et même si je ne l’ai pas eu du tout car je n’y connaissais rien dans la théorie du cinéma, ça m’a confirmé que ce n’était pas la peine de continuer à faire des études de sciences. Donc du coup, même si j’ai raté, qu’est-ce que je pouvais bien faire en attendant de retenter ? puisque c’est une fois par an, J’ai dû tomber sur une interview de Guillaume Canet dans un magazine de cinéma ; il parlait de son parcours. Il avait fait le cours Florent. Et je me suis dit : « Tiens comme je veux devenir réalisateur, je vais aller dans une école de comédiens, je saurai pour plus tard ce qu’est le métier d’acteur. Ça pouvait me servir pour ce futur métier de réalisateur puisque c’est ça qui m’intéressait. Donc je suis allé au cours Florent apprendre le métier d’acteur de théâtre puisque c’est ça qu’on apprend au cours Florent avec les classiques. Et je n’ai jamais retenté le cours de la FEMIS ou un autre concours du reste. En tant qu’acteur, et je ne dis pas que je suis contre le cinéma, mais ma vraie passion, c’est maintenant le théâtre, j’aime être confronté aux gens en direct. En l’occurrence, pour la suite, j’ai fait mon cursus au cours Florent, après j’ai eu des petits projets comme ça, à droite, à gauche. Bon an, mal an, c’est comme ça que j’ai rencontré le co-auteur Ferhat KERKENY. On n’a pas fait l’école ensemble mais on s’est trouvés sur un projet commun après l’école, projet de la Commedia dell’arte. On faisait l’Arlequin et le Capitaine, un duo qui s’est construit à ce moment-là, on s’entendait hyper bien et quand cette Compagnie a mis la clé sous la porte car les projets ne se vendaient pas, on s’est retrouvés tous les 2 et on s’est dit qu’on fonctionnait bien et on allait essayer nous même de créer notre Compagnie, notre propre spectacle pour pouvoir bosser, car sinon on n’avait rien. Ça c’était 2011, 2012 alors que le cours Florent, c’était 2004, donc ça faisait un paquet d’années qu’on était sortis et qu’on n’était toujours pas intermittents, on bossait tous les 2. Moi j’avais atterri dans la Com. directeur de projet, rien à voir non plus avec la biochimie. Et Ferhat était dans la restauration. Et c’est comme ça qu’on a écrit notre première pièce, un hasard aussi; on n’a pas choisi la thématique de l’Histoire : c’est le premier sketch qu’on avait écrit selon l’actualité du moment, sur ce que c’est d’être français, de connaître son histoire. Alors on a présenté 5,10 minutes sur une scène ouverte, un sketch sur l’histoire avec ces 2 personnages : Terence et Malik qui ont donné leur nom à la Compagnie. Et quelqu’un est venu voir Farhat en fin de scène, en lui disant qu’il avait apprécié l’histoire, le jeu avec une bonne dynamique, que l’histoire de France, c’était une bonne thématique, quelque chose de porteur et de rassembleur. Alors il a demandé à Farhat si on avait un spectacle, il a dit oui. Le but c’était d’arriver à faire un spectacle et de le vendre plus tard. Bon, s’il le vend avant, ce n’était pas gênant. Il a négocié avec ce directeur d’une petite salle parisienne à Belleville. Farhat, lui a dit : « Laisse nous 3 mois pour finaliser le truc et on vient chez toi. » Donc en fait, on venait de jouer, de présenter ce premier sketch et on avait vendu un spectacle pour dans 3 mois. On avait mis 6 mois pour écrire les 10 minutes et là on avait 3 mois pour en rajouter 50, les apprendre, mettre en scène et les jouer. Et donc souvent, on nous demande pourquoi la thématique de l’histoire ? c’est parce que c’était la thématique du premier sketch. On a développé le spectacle et en l’occurrence c’est la metteuse en scène de la Commedia dell’arte à qui on a montré notre travail en cours d’écriture car on se retrouvait avec 2 gars qui avaient l’air d’être des potes, qui étaient dans la rue, à discuter d’histoire. On ne comprenait pas bien pourquoi. C’est elle qui nous a dit : « Ça crève les yeux, toi Nico, tu as un côté plus professoral qui aime bien raconter les histoires et bien tu vas faire le prof d’histoire et toi Ferhat, tu es un gars plus sociable, qui n’a pas du tout un cursus scolaire qui fonctionne, un peu cliché, mais qui s’en est très bien sorti dans la vie, tu vas faire le cancre et vous dites aux gens qu’ils sont en classe et des élèves avec vous. C’est le seul point de départ qu’il faut faire accepter et après ça déroule. Et ça fait 13 ans que ça dure.
AVDLE : Pour cette pièce, vous avez aussi fait la mise en scène ?
NP. Je n’ai pas fait la 1ère, ni la 2ème série mais la 3ème. La première, c’était Eric Hénon qui a bossé sur la série « Sous le soleil » et ensuite on a pris quelqu’un qui vient du mime, pour travailler un peu sur le corps, la gestuelle. Au bout de 10 ans, j’ai repris la main sur la mise en scène. Je m’étais fait une idée de ce que je voulais modifier, améliorer. Actuellement, je suis à la mise en scène.
AVDLE : Et quand vous êtes pour cette pièce à l’écriture, à la mise en scène et à l’interprétation, quelle casquette préférez-vous ?
N.P . Ma casquette de base, c’est celle de l’acteur, même encore aujourd’hui. La Compagnie proposait 3 spectacles, on a 2 équipes parce qu’on fait beaucoup de tournées. Certains se disent ok pour faire tourner les autres, pour jouer, pour faire l’auteur ou le producteur. Moi c’est l’inverse, j’aime bien écrire ; auteur pour raconter ce qu’on a envie de dire, c’est bien. Mais mon plus grand plaisir, c’est de jouer, d’être avec les gens. Comme je disais au début, c’est ça qui m’a donné envie d’être acteur. Quand j’ai découvert le théâtre, mon moteur premier, c’était d’être face à des gens et vous pourrez le constater cet été : on ne fait pas le Festival en Val de Luynes pour présenter du Shakespeare ou du Molière. C’est une pièce de jeunesse, très fraîche, pleine d’impro, très spontanée, très verbale. Avec le temps, je fais de plus en plus d’interactions avec les gens, j’aime beaucoup et les gens trouvent cela virtuose, car ils se disent « Tiens, on assiste à quelque chose d’unique, tout ce qu’il dit là ! » ; avec l’intervention des gens, ça rebondit, c’est très fort. Effectivement ma casquette préférée, c’est celle de l’acteur.
AVDLE : Quand vous êtes en tournée, quels sont les retours des spectateurs ?
N.P . C’est justement cela ; on a ce spectacle de « La Folle Histoire de France » qui dure 1h30. On jouait au début avec un peu d’impro, mais des blagues sont devenues obsolètes ou s’affirment : la dernière en date est celle de François 1er, le roi et François 1er le pape ; le pape est mort, on ne peut pas parler du pape actuel, donc on parle encore du pape qui vient de mourir mais dans quelque temps, pouf ! ça n’aura plus de sens. Sinon, on a commencé à jouer sous Hollande, maintenant c’est sous Macron. Là, la blague est arrivée avec les personnages qui cherchent à sortir avec la prof d’histoire ; sous Hollande, il n’y avait pas de lien, il n’y avait pas de blague à faire sur la prof mais aujourd’hui la femme du président est son ancienne prof donc ça rajoute un effet au texte. C’était inattendu. Et puis avec le temps, ce que retiennent les gens, c’est qu’on commence par l’appel en classe. Ça va me nourrir, me faire connaître les gens ; j’ai besoin d’adultes, d’enfants, « Qui est sympa ? Qui a la bonne voix ? Qui a du répondant ? » et les gens vont retenir cette virtuosité à rebondir. Des séances sont plus ou moins bonnes. On est passés à Caen de 1h30 à 2h30. On a eu un gamin complètement délirant, délégué de classe, qui avait du répondant et c’était cool. Ça, ça marque. Et les prénoms aussi à retenir, ça marque. Le texte ça va, j’en suis l’auteur, il est gravé. Et ça me laisse de la place pour retenir les prénoms des gens et ça, ça impressionne. Ils se disent : « Il en a retenu 15 sur 20, c’est cool, il connaît tout le monde. » Ce petit numéro de mémorisation, de mentaliste s’ajoute au fait que ces gens apprécient la réconciliation avec le monde de l’école. Ils se disent « C’est marrant, si on avait eu un prof comme ça, ça aurait été plus cool, avec cette ambiance, ce cancre, ça aurait été marrant » . Il y a un peu de ça, de vendre un cours sympa, un cancre hilarant, un prof sympa et un fantasme pour un coup de cœur pour une prof, ce qui ramène à notre président actuel.
AVDLE : Quel est votre meilleur ou pire souvenir ?
N.P . Quand on touche les gens, c’est un excellent souvenir : on avait joué pour des scolaires : des primaires et un centre pour handicapés lourds, en fauteuils mécanisés avec des assistants. Notre théâtre, c’est aussi d’aller vers tous les publics et si besoin faire du caritatif pour aller voir tout le monde, sans regarder au budget. Ces dates là sont souvent très sympas car souvent on voit des écoliers qui ont des parcours pas faciles. Avec les handicapés lourds, la difficulté, c’était de jauger au début comment ils réagissaient. Voir leurs capacités à entendre, à voir, à parler, à rire. La plupart étaient tétraplégiques, donc ce n’étaient pas des rires, mais des bruits. Tous les gamins s’amusaient, riaient, ça faisait une ambiance très spéciale. En même temps, faire rire des enfants – et ces gens-là qui n’ont pas toujours l’opportunité de se marrer, de participer, comme avec l’écartèlement de Ravaillac, par exemple- c’était très touchant. On sort de scène, on se dit « Ouais, on fait un métier qui a du sens ». Ça me touche vraiment. Plus personnellement, mon meilleur souvenir, c’est jouer avec ma fille qui vient sur scène parfois. Elle a bientôt 8 ans et elle nous suit depuis 3, 4 ans. Moi, le plus touchant c’est ça : quand elle a découvert le métier de papa, elle a voulu monter sur scène, parce qu’elle était fâchée parce que papa s’adresse aux gens et pas à elle. Elle avait 4 ou 5 ans et elle disait » Mais papa, tu ne me réponds pas, tu parles à tout le monde mais pas à moi !». Oui, mais avoir son enfant qui pleure dans la salle, ce n’est pas possible, alors elle est montée sur scène au petit bureau et j’ai encore la vidéo de ça et c’était trop mignon. Elle riait, les gens s’amusaient et en tant que père, c’était émouvant et touchant et c’est maintenant une petite tradition. Quand elle est avec nous, elle fait une petite scénette de 5 à 10 minutes avec nous. Elle reste avec le cancre, comme avec les autres enfants quelquefois. Et initier son enfant, en tant qu’acteur père, c’est sympa de partager ça. Dans les pires moments, les incidents tragiques, c’est les risques, l’impro. C’est poser la mauvaise question. J’ai un souvenir comme ça un peu malheureux où je m’adresse aux gens qui se marrent. Et à un moment donné, il y a une personne en particulier, à la fin de l’appel, un monsieur retraité. Puis dans mon élan à faire des blagues, dans une bonne ambiance, je lui dis « Alors vous n’avez pas d’amis ? » et il répond : « C’est pas ça, je devais venir avec ma femme et elle est morte, il y a 15 jours ». Et finalement l’euphorie, là d’un coup, pouf ! Ça gâche tout et en même temps, on est tellement lancés que je rebondis ; je l’ai déjà fait plusieurs fois cette bourde. En fait il y a des questions qu’on ne pose plus. D’ailleurs il y a des gens, des fois, qui nous font des signes qu’il ne faut pas insister. Ça m’est arrivé il y a 2 jours : je vois un monsieur avec le bras en écharpe. « Qu’est- ce qui vous est arrivé ? ». Je pensais qu’il l’avait luxé ou cassé. « Non, laissez tomber » et j’insiste alors que je ne devrais pas. En fait il venait de faire un AVC, ce n’était pas un bras cassé. Sa femme qui me regardait en me faisant des YEUX….j’ai l’habitude. Mais c’est des petites anecdotes, sinon je n’ai pas vraiment de souvenirs où on a vécu l’enfer, ni de galère. On ne les retient pas. On oublie. On n’a pas de gros traumatisme scénique. Ce sont des maladresses, c’est tout. Une fois, j’ai eu une déléguée aveugle, qui devait surveiller la classe !! Souvent, ces gens-là, atypiques, on leur explique : « Nous t’intégrons comme un spectateur lambda, on va rire avec toi et non pas de toi. » Les gens, dès qu’ils sont intégrés, tout va. J’avais eu un gendarme mobile qui était en fauteuil roulant après un accident en intervention. Passé le moment de flottement, je me foutais de sa g… et je n’avais pas vu qu’il était en fauteuil. C’est gênant si tu le traites comme un handicapé alors qu’en fait son pote passait son temps à se moquer de lui. On a passé un bon moment à rire avec lui, de lui avec son accord. Il était ravi en sortant. C’est chouette de tout casser comme ça, de se moquer, avec les gens, mais pas d’eux.
AVDLE : C’est la première fois que vous allez jouer en extérieur ?
N.P . Non, on l’a déjà fait plusieurs fois à Paris, chaque été, printemps, au jardin Shakespeare, au Bois de Boulogne. Et on a fait 2 saisons de 15, 20 minutes, en plein air. Notre spectacle s’y prête, le décor est assez simple, la mise en scène est efficace. La lumière n’a pas besoin d’être complexe. On le joue partout. Dans une classe, il y a 2 jours, sous les néons, ça changeait aussi.
Je vous remercie pour toutes ces réponses et vous donne rendez-vous le 8 juillet à la Maison de l’Amiral où vous verrez aussi une flopée d’enfants. Il y aura matière à échanges délurés
Interview réalisée par Valérie
Bénévole au Festival de théâtre en Val de Luynes