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JUSTINE VULTAGGIO

 Metteuse en scène et comédienne 

 

LE BARBIER DE SEVILLE

 

Affiche de la pièce Et elles vécurent heureuses

Association Val de Luynes Evènements: Nous allons vous voir dans le cadre du festival interpréter Le Barbier de Séville. Pouvez-vous en quelques mots vous présenter ainsi que la compagnie à nos festivaliers ?

 Justine Vultaggio :Oui. On est la compagnie Les Modits. C’est une compagnie basée à Paris que j’ai cofondée avec Oscar Voisin qui interprétera le rôle de Figaro dans « Le Barbier de Séville ». Cette compagnie a maintenant 8 ans. On l’a créée avec Oscar à la suite de notre parcours de formation théâtrale, celle des cours du Foyer. C’est une école de théâtre privée à Paris avec notamment Delphine Depardieu qui vient d’être moliérisée, Béatrice Agenin et des anciens élèves de chez Jean-Laurent Cochet. Nous avons ainsi une formation théâtrale très axée théâtre classique.  Dans la compagnie, je m’occupe de la mise en scène ; Oscar est à la direction artistique avec moi et la troupe évolue selon les distributions et les rôles de la pièce choisie. « L’Affaire de la rue de Lourcine » d’Eugène Labiche est la première création qu’on a faite, il y a maintenant 5 ans, 6 ans. C’est un vaudeville qu’on a créé pour le théâtre du Lucernaire qui nous a programmés à Paris. On a eu deux exploitations à Paris et deux à Avignon. Ça  a été un super succès ! Enfin, on ne s’y attendait pas du tout. Nos spectacles contiennent toujours des parties musicales, ce qui est un peu la marque de fabrique de la compagnie. Ensuite, on a monté une pièce qui est une création qui s’appelle « Milady », qui n’a pas été encore jouée à Paris, mais qui a été créée sur le personnage de Milady de Winter d’après Alexandre Dumas. Elle devrait ressortir normalement l’année prochaine, je l’espère. Enfin « Le Barbier de Séville » est la troisième création de la compagnie.

Quant à mon parcours, je suis chanteuse lyrique de formation. J’ai fait le conservatoire de musique dans les chœurs d’enfants de l’Opéra de Nice. Puis après, le conservatoire de musique en chanson lyrique. Puis le conservatoire de Paris, où j’ai passé mon prix et mon diplôme de concertiste au conservatoire. Ensuite, j’ai poursuivi mes études à l’Opéra Studio de l’Opéra de Montréal pendant deux ans. Je suis ensuite revenue à Paris où j’ai intégré l’Opéra Studio, qui est un ensemble pour les jeunes chanteurs lyriques solistes. Je me prédestinais vraiment à une période de chanteuse lyrique en tant que mezzo-soprano. Et j’ai commencé à travailler en tant que chanteuse lyrique. C’est pour cette raison que j’intègre dans mes mises en scène de la musique, du chant et de la musique live, dès que je le peux. C’est vraiment mon parcours !

AVDLE : C’est peut-être ce qui a motivé votre choix de mettre en scène « Le Barbier de Séville » puisque le souhait initial de Beaumarchais était d’écrire un opéra-comique avant d’en faire une comédie ?

J.V : Oui, oui, tout à fait. Déjà, c’est un opéra que j’ai chanté, l’opéra de Rossini. C’est un rôle que j’ai chanté à Montréal et que j’ai affectionné. Donc, je connaissais le livret qui est un peu plus… Enfin, il y a quelques personnages en plus dans le livret de Rossini, mais c’est la thèse de Beaumarchais. C’est vraiment Rossini qui a pris le livret de Beaumarchais et qui l’a mis en musique en l’adaptant et en rajoutant quelques rôles. Et puis Oscar avait envie aussi de monter cette pièce parce qu’il adorait le personnage de Figaro. Et moi, j’aimais aussi le personnage de Rosine. Donc, on s’est dit que ce projet serait super chouette ! Alors on est partis là-dessus parce que la thèse nous plaisait vraiment à tous les deux. Ensuite on a trouvé le casting qui allait en fonction.

AVDLE : Vous aimez jouer le personnage de Rosine. Pouvez-vous nous dire ce qui vous touche dans ce personnage ?

J.V :  Alors… chez Rosine j’aime bien son côté… comment dire ?… faussement innocente. Elle vit une histoire qui est quand même assez atroce puisqu’ elle est retenue captive par son tuteur, Bartholo, qui veut la marier de force. Donc, évidemment, maintenant, en 2025, c’est …  Comment dire ?  Une situation qu’on ne connaît plus ainsi, mais qui existait vraiment à l’époque.  Je trouve que derrière son côté faussement innocent, elle est beaucoup plus maligne qu’on ne le pense. Et en fait, c’est une femme …   assez avant-gardiste, assez révolutionnaire, mais… Oui, révoltée, en tout cas. Dès qu’elle va pouvoir trouver une issue qui est ce fameux Comte Almaviva, elle va tout de suite prendre la première porte qui s’ouvre pour pouvoir essayer de s’enfuir de cette maison, échapper à ce destin affreux de mariage forcé qui, quand on y réfléchit, est absolument atroce, quoi !

AVDLE : Effectivement même si Beaumarchais a souhaité écrire une comédie, le sort de Rosine n’en est pas moins terrible. De même, plusieurs répliques de Figaro pourfendent l’ordre social de l’époque. Lors de vos représentations, le public est-il sensible à cet arrière-plan social et politique de la pièce ? Ou est-il   plus sensible aux situations comiques et farcesques ?

J.V : En fait, pour moi, Beaumarchais a d’abord écrit cette pièce comme une espèce de farce et une comédie. Le rythme de la pièce, l’extravagance des situations, les personnages grotesques en font une comédie réussie. Il y a toute cette histoire de masque où le comte Almaviva déguisé va réussir à rentrer dans cette prison pour enlever Rosine.  Une fois, il arrive grimé en soldat complètement ivre, ensuite en bachelier. Donc, les ficelles sont très grosses. C’est dans l’écriture de Beaumarchais, mais en fait, derrière, effectivement, il y a… tout le propos qui est la satire sociale de Beaumarchais à travers les répliques de ses personnages :   Figaro, le valet, le comte, Bartholo, etc. Mais moi, ce que je trouve réussi, en tout cas, quand les messages réussissent à passer, c’est quand d’abord on voit la comédie et qu’ensuite, par le rire, parce qu’on rigole des personnages qui sont plus grotesques  les uns que les autres, les messages passent. Mais il me semble inutile de vouloir forcément faire de la psychologie et vouloir vraiment appuyer les messages en disant « voilà, lui, il est méchant, lui, il est gentil ».  En fait, je n’ai pas voulu appuyer dans la mise en scène, justement, ce côté politique et trop sérieux. Au contraire, j’ai pris le parti de vraiment respecter l’esprit comique voulu par Beaumarchais, tout en gardant cependant la situation et le sérieux des propos.  J’ai souhaité garder l’apparence d’une comédie légère, mais en la jouant de façon sérieuse. De toute manière le comique est inscrit dans le texte, dans l’invraisemblance des situations et des divers quiproquos. Je n’ai pas voulu sur-appuyer ni sur-psychologiser. C’est déjà dans la structure de la thèse. Donc, il ne faut pas jouer cette pièce comme si c’était léger, mais ne pas sur alourdir non plus.

AVDLE : Vous n’avez pas souhaité, comme on peut le voir chez certains metteurs en scène, actualiser le propos, par exemple.

JV : Non, exactement. Parce que l’ histoire de cette jeune fille qui est captive, retenue de force par son tuteur, mariée à 18 ans … je ne la voyais pas trop en 2025…  Je trouve que c’était trop… Enfin, pour que ça puisse résonner, je trouve qu’il n’y a pas besoin. Vouloir actualiser cette situation en 2025, je trouve que ça aurait été hors de propos, ce n’est plus d’actualité. Donc, autant laisser la situation dans l’époque mais en disant, oui, ça a existé.  Et si la pièce trouve une résonance auprès des spectateurs, tant mieux !  Je trouve que c’est encore plus fort de prendre conscience de tout le chemin qu’on a réussi à parcourir.  Il y a encore quelques siècles de cela, il y avait la condition de la femme, c’était ainsi à l’époque, elle n’avait pas le droit forcément de… Enfin, voilà, on ne leur demandait pas leur avis, mais ça existait.

AVDLE : Ce parti pris explique sans doute les choix de costumes et de décors que vous avez faits ? Ils respectent le contexte historique.

JV : Oui, oui, oui. Dans l’ensemble, on a essayé de respecter le contexte historique. Oui, oui, on a fait les décors pour que tout soit cohérent. Cela étant, on avait aussi une contrainte. Quand on va venir vous voir, on aura joué à Avignon 20 représentations. On avait donc des contraintes techniques à savoir qu’un décor qui doit se jouer à Avignon doit se monter en cinq minutes et se démonter en cinq minutes. Donc, forcément il y a du logistique à avoir. On ne peut pas venir avec des décors trop lourds, comme si on jouait dans un théâtre.  Mais oui ça se passe vraiment à Séville, et les costumes ont été pensés pour que le tout soit cohérent et qu’on soit immergé dans le Séville de ces années-là.

AVDLE : Vous avez évoqué le rythme endiablé de cette comédie. Est-elle difficile à mettre en scène et à jouer ? Vous a- t-il fallu inventer des subterfuges pour y parvenir ou le texte vous a-t-il suffi ?

JV :  Des inventions ?  Non, je ne pense pas. Je me suis entourée de comédiens qui ont, disons, cette appétence et ce sens vital de la partition. Ils ont une lecture assez similaire à la mienne, à savoir un jeu généreux, musical et proche du texte. Donc ça n’a pas été si laborieux. Il suffit juste de comprendre l’esprit de Beaumarchais et de se dire que tous les comiques de situation, parce qu’il y a beaucoup de comiques visuels et de quiproquos, fonctionnent.  S’il y a des comédiens qui sont trop installés, qui ont un rythme un peu trop plan-plan, toute la mécanique, en fait, ne va pas prendre. Mais j’ai des comédiens qui ont cette sensibilité-là et qui, pour la plupart, ont joué beaucoup de classiques, de Molière…  Donc ça n’a pas été très compliqué. Après, c’est aussi mon rôle d’orchestrer, de préciser les regards, les intentions, les rythmes pour que la mayonnaise prenne.

AVDLE : Votre formation de chanteuse lyrique a -t-elle influencé vos choix de mise en scène ?

JV :  Je ne sais pas exactement. Je ne saurais pas dire dans quoi précisément. Mais, oui, peut-être par rapport à l’interprétation des personnages. C’est vrai que dans l’opéra, il y a des personnages assez marqués. On est sur un jeu qui est toujours généreux. Quand on est à l’opéra, le jeu est rarement naturaliste déjà parce qu’on est sur des grandes salles. C’est vrai que, peut-être un peu malgré moi, quand je dirige les personnages, j’ai toujours tendance à les pousser vers un jeu qui ne soit pas caricatural mais où les identités sont bien marquées, bien définies. Et c’est peut-être pour cette raison qu’on me dit qu’il y a quelque chose de volubile, de très pétillant, bondissant dans mes mises en scène.  Je pense que c’est dû à mon bagage de chanteuse lyrique.

AVDLE : On va sans doute retrouver cet aspect avec le personnage de Figaro ? Je pense, par exemple, à la scène 2 de l’acte 1 où il arrive en chantant et en jouant de la guitare.

JV :  Oui, la guitare, c’est un ajout. Ça n’y était pas forcément… Il est censé juste écrire une petite chanson, mais voilà, la guitare en a rajouté. À un moment donné, le comte aussi… Quand il chante la sérénade sous les fenêtres, la scène se transforme en une espèce de truc un peu rock’n’roll. Ce sont des petites libertés que j’ai prises, des choses volontairement, soit drôles, soit anachroniques. Parfois c’est pour dynamiser le propos ou pour rendre un peu plus ridicule le personnage. J’aime bien laisser libre cours à une forme de fantaisie qui va contribuer à la jubilation de la pièce, de la mise en scène.

AVDLE : Merci beaucoup d’avoir pris le temps de nous accorder cette interview. Avant de nous quitter, peut-être pourriez-vous présenter à nos festivaliers vos projets futurs ou leur indiquer la manière dont ils peuvent retrouver votre actualité ?

JV : Alors, pour l’instant, je ne pourrais pas vous dire la prochaine création des Modits parce qu’on est vraiment en train de prospecter, de lire plein de choses avec Oscar. Donc, malheureusement, je ne pourrais pas vous donner de pièces. En revanche, on sait déjà que « le Barbier de Séville » se rejouera au Théâtre du Lucernaire. On est reprogrammés à partir de mi-février, sur une quarantaine de dates. Et après peut-être un Marivaux ou un autre mais ce sera encore probablement du classique. C’est notre créneau et on a encore envie de poursuivre dans cette voie.

Interview réalisée par Marie
Bénévole au Festival de théâtre en Val de Luynes.