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Damien GOUY

Comédien

 

DEVOS RÊVONS DE MOTS

 

Photo de Vincent Pinguet et Patrick Chanfray

 Association Val de Luynes Evènements : Quel a été le déclic pour décider de faire entendre à nouveau ce texte de Raymond Devos ?

Damien GOUY : C’est presque une histoire de famille. L’idée avec Benjamin Kerautret était de se retrouver tous les 2. Ça fait plus de 20 ans qu’on se connaît. Se retrouver tous les 2 dans un théâtre festif mais toujours dans la ligne de défense de la langue française souhaitée par sa compagnie « La Ben Compagnie » ou de la mienne, « le Théâtre en  pierres dorées ». On voulait essayer d’être dans un mode un peu « cabaret » tout en ayant une certaine exigence de la langue française et un vrai travail sur la tenue de la pensée. Raymond Devos correspondait à cela, à la fois festif et à la fois sur une défense exigeante du travail de la langue. Là-dessus on a demandé au metteur en scène Fabrice Eberhard qui est comédien, metteur en scène à Paris de participer à cette aventure. Il nous a fait nous rencontrer sur un stage à Collioure, un été. Moi j’avais déjà fait un stage sur Raymond Devos avec ce metteur en scène-là et on lui a proposé avec Benjamin de nous mettre en scène sur ce spectacle. Ça correspondait pour moi à la fin d’une aventure au théâtre national de Villeurbanne, où je suis resté 13 ans dans la troupe du TNP. C’était comme reprendre un envol et boucler la boucle en montant ce spectacle mis en scène par Fabrice Eberhard et avec Benjamin on a fait le montage de texte.

AVDLE : Sur la scène vous êtes 2 avec Benjamin Kerautret. Comment vous êtes-vous préparés physiquement, car le texte est plein de subtilité à transmettre ?

D.G : Alors en fait c’est toute la magie d’un montage de texte, à savoir qu’on part avec l’intégrale de tous les textes de disponible ; il y a des textes qu’on aime beaucoup, qu’on met de côté en se disant, « Tiens, celui-ci serait bien pour Benjamin » ou lui-même dit « Je te verrais bien dire cela ». On lit ça et ensuite on se dit : « On a plusieurs petits textes et il nous faudrait un gros texte maintenant d’une personne seule ». Car nous, on voulait de ne pas être où était Raymond Devos avec son pianiste. D’ailleurs, dernièrement François Morel a repris exactement la même chose, tout seul avec son pianiste, c’est parce qu’en fait François Morel a lui aussi sa poésie et il se sert des mots comme aurait pu le faire Raymond Devos. C’est là où cela avait un sens pour lui. Pour nous, l’idée était de théâtraliser et là où Raymond Devos faisait tout seul, le faire à deux, se renvoyer le texte comme un ping-pong. Il y a quand même des textes que l’on fait tout seul. Mais on n’a pas de pianiste. Par contre on a eu besoin de faire des pauses musicales car la langue de Devos est dense, ardue, donc de temps en temps, il nous fallait des petites pauses musicales et aussi pour les spectateurs. Benjamin joue un peu de guitare, donc il s’y est mis.

AVDLE : Vous répondez presque à ma question suivante : pourquoi mettre quelques mots en musique ?

D.GOui, en plus l’un des sketches s’appelle « Les chansons que je ne chanterai pas » ; il y a plusieurs débuts de chansons comme ça, très drôles ; il le faisait avec son pianiste.
On s’en est servis pour faire quelques petites notes et ailleurs, à d’autres endroits, pour faire d’autres rythmes, parce qu’en fait ce sont des sketches qui ont la même durée ; on s’est donc servis de la musique pour différencier les différentes longueurs de texte. On avait trouvé dans un autre de ses livres ou en rencontrant des gens qu’il connaissait, qu’il essayait des sketches  tout le temps, ; il allait au restaurant avec des amis et il en profitait pour écrire des sketches tout le temps dans son cahier, des phrases, comme ça, quelquefois qui rentraient ou pas dans un sketch. On s’est servis de toutes ces phrases pour rythmer le cours du spectacle.

AVDLE : En regardant un extrait vidéo, je me suis aperçue que pour Raymond Devos, les silences sont importants,  la respiration aussi. La partition fut-elle difficile à apprendre ?

D.GAvec Benjamin, on est comédiens interprètes. On est au service du texte. Nous sommes les vecteurs d’un texte, il y a l’auteur d’un texte, il va nous traverser et arriver dans l’oreille du spectateur. Pour nous l’idée, c’est rendre au mieux comment c’est écrit, la langue dans laquelle c’est écrit, la respiration que donne lui-même Raymond Devos. Alors il écrivait pour lui, donc pour son corps, pour sa façon de dire. Donc nous, on a commencé par partir du texte qui existe dans les livres et si on regarde bien dans son gros livre sur les intégrales de ses textes, on voit que c’est écrit presque en vers libres, c’est à dire qu’il y a des phrases qu’il coupe ; on va faire alors confiance à la typographie, et on se rend compte que si on dit le texte comme c’est écrit, cela ne marche pas. On se rend compte que Devos laisse un silence pour dire aux gens « Là il y a un  jeu de mots » et là, les gens rient. Au fur et à mesure des représentations, on essaie de bien sentir ces respirations et je parlais tout à l’heure d’un mode un peu « cabaret », c’est vrai que c’est ce mode là qui convient, cela dépend de la distance avec les gens, de l’endroit, des lumières. On l’a joué n’importe où, dans des appartements, pour 40 personnes ou dans des lieux extérieurs pour 600 personnes. On l’a joué déjà plus de 85 fois et voilà l’idée : refaire entendre ce répertoire là qu’on n’entend plus.

AVDLE : Quand vous êtes en tournée avec ce texte, quels sont les retours des spectateurs ? Le texte parle t-il à toutes les générations ou est-ce plus difficile avec les plus jeunes ?

D.GOn s’aperçoit que c’est encore très drôle, que les gens comprennent bien. Chez les plus jeunes, ils s’aperçoivent qu’ils sont plus intelligents en sortant, qu’ils ont appris plein de choses, (rires) on est heureux de ça car on a fait aussi des scolaires et c’est super car les sketches sont pour tous les âges, mêmes s’il y en a qui marchent mieux que d’autres. Mais on s’y retrouve tous. Nous, on fait pas grand-chose à côté en fait, c’est les mots de Devos. On le rend au mieux, c’est tout.
La contrainte qu’on s’est donnée, c’est de faire un spectacle familial. On avait des enfants en bas âge aussi, on voulait qu’ils puissent voir aussi ce spectacle-là. Et on s’est aperçus qu’il y a des sketches qu’ils adorent. Le sketch de Caen, dès 6 ans, ils adorent. Plus petits, c’est plus difficile, c’est quand même un spectacle sur la langue française.

AVDLE : C’est là qu’on s’aperçoit qu’elle est très riche et on demande comme font-ils dans les autres langues pour faire les jeux de mots ?

D.GOn devait partir à l’étranger avec le TNP, jouer au Brésil avec le Devos et un texte sur Aragon, qu’on joue aussi avec Benjamin. Et finalement on n’est partis qu’avec Aragon car c’est plus facile à traduire et le Devos était impossible. Il y a trop de subtilités, impossible à faire entendre à l’étranger.

AVDLE : On se voit donc dans un mois. Quel est votre état d’esprit, pour présenter cette pièce en plein air ?

D.GOn a l’habitude de le faire en plein air. On est d’une formation de théâtre de tréteaux et comme on ne peut pas avoir des milliers de décors, on fait du théâtre de textes. Le texte est l’acteur, c’est le texte qui fait l’acteur. On est très habitués à ça, à cette forme-là, dehors. Là, on va rencontrer le régisseur lumière sur votre lieu mais on commencera en jour pour finir en lumière, mais on n’a pas besoin de grand chose. Fabrice Eberhard, le metteur en scène, dans sa formation en école parisienne, fait travailler Devos et les Fables de la Fontaine, car ce sont des textes qui servent de gamme, comme pour un pianiste. Ce sont des textes où il y a plusieurs personnages, il faut mettre de l’énergie, mais pas trop. Çà regroupe pleins de choses sur le métier d’acteur et on est habitués à faire ses choses-là.

AVDLE : Pour finir, pouvez-vous nous donner votre meilleur souvenir avec ce texte en tournée ?

D.G :  Ça c’est compliqué. Je me souviens lors de notre 2ème représentation, un dimanche après-midi, on était dans un village où on jouait deux fois. En fait les gens du village étaient venus beaucoup le samedi soir et le dimanche après-midi on s’est retrouvés devant 3 personnes. On s’est demandés ce qu’on allait faire et on y est allés en se disant que ça nous porterait chance et 5 ans plus tard, on continue à jouer ce spectacle. Ce jour-là c’était un moment magique car sur les trois personnes, il y avait une très vieille dame qui a rigolé pendant toute la pièce. Je n’ai plus de nouvelles de cette dame et je me dis que peut-être elle est partie. Je me dis alors qu’elle a vécu un de ses plus beaux moments de fin d’existence. On sert à ça aussi. On a beaucoup de moments merveilleux avec ce spectacle. D’ailleurs on a monté aussi avec Benjamin « le Cyrano de Bergerac » et quand on l’a joué à Arnaga, la maison d’Edmond Rostand, les gens qui nous avaient invités cherchaient un autre spectacle pour le lendemain et avec Benjamin, on leur a dit qu’on avait aussi le « Devos ».

On était sur place à leur disposition et on a joué en plein air sur une grande scène devant 600 personnes, après le Cyrano, dans le jardin d’Edmond Rostand.

Je me souviens aussi d’une dame qui nous avait appelés pour les 70 ans de son mari et on avait joué dans son jardin, sous un poirier, devant 25 personnes, un cadeau pour son mari. On a joué dans tellement d’endroits différents que c’est beau à chaque fois. Nous, avec Benjamin, on est pour la décentralisation, on va là où le théâtre ne peut pas toujours aller. Avec ce genre de petit spectacle où la langue est le seul spectacle, on y va. Il ne nous faut rien et on y va. Il y a 15 jours, on a joué aussi dans un minuscule village du Beaujolais, perdu, à 1h30 de Lyon. On a joué devant 120 personnes qui étaient contents de retrouver Raymond Devos.

         Interview réalisée par  Valérie
        Bénévole au festival de théâtre en Val de Luynes